Parcoursup, un an après

Publié le 31 Mai 2019

Couverture du bilan officiel de Parcoursup

Couverture du bilan officiel de Parcoursup

Le bilan officiel

Il est à l’image du discours qui accompagnait l’ouverture de la plateforme : il insiste sur la CA-TA-STROPHE que représentait le recours au tirage au sort avec APB (je ne suis pas pour le tirage au sort, bien au contraire, mais bon, cela ne concernait pas beaucoup de gens, et parmi eux, tous n’étaient pas en détresse, loin de là). Ensuite, le document accumule des comparaisons chiffrées avec APB, sans redonner le contexte qui permet de les interpréter. Par exemple, on se félicite à de nombreuses reprises que le nombre d’étudiants ayant accepté une proposition ait augmenté par rapport à APB. Sans préciser que des formations qui étaient hors APB en 2017 se sont retrouvées sur Parcoursup en 2018. Donc les étudiants acceptés en 2017 par cette formation n’étaient pas comptabilisés. Bref, beaucoup de chiffres, mais difficile d’en dire quoi que ce soit.

 

Les familles blasées

Dans cet article humoristique, la journaliste Bérengère Viennot, mère d’une élève de terminale, raconte les péripéties de sa fille sur Parcoursup. Il ne s’agit pas ici de statistique ou d’analyse des politiques publiques, mais juste de montrer l’étendue de la nervosité dans laquelle le processus de sélection plonge les familles. Et encore, on devine que Marie-Clitorine, l’élève en question (ne vous inquiétez pas, ce n’est pas son vrai prénom), est plutôt bien lotie : elle est bonne élève dans un bon lycée, sa famille est bien informée des enjeux de l’enseignement supérieur. Imaginez que ceux qui doivent attendre le plus longtemps sont exactement ceux qui ont le moins d’interlocuteurs compétents avec qui rediscuter de leur projet d’études, le moins de moyens de trouver une école privée ou un logement à la dernière minute. Dans ces familles, on ne boit pas de mojito pour calmer son angoisse en attendant que Parcoursup daigne accorder une place. On abandonne et on cherche du travail. Au mieux, on investit dans une école privée. On s’endette, pendant que les formations publiques et quasi-gratuites s’emplissent de candidats qui, eux, auraient les moyens de s’offrir une école privée sans trop de sacrifices.
 

 

Le découragement des filles

Les victimes principales de la sélection sont, je viens de le dire, les étudiants issus de milieux populaires. Mais il y a d’autres axes d’inégalités. Les sociologues Fanny Bugeja-Bloch & Marie-Paule Couto ont étudié les dispositifs d’autosélection proposés à l’entrée des facultés de droit. Ces questionnaires d’autoévaluation sont adressés aux étudiants lors de leur candidature. Ils sont seuls destinataires des résultats (l’université ne les conserve pas). Lorsque ceux-ci leur sont communiqués, ils doivent s’interroger sur la pertinence de leur candidature. Dans les universités du centre de Paris, ce dispositif a peu affecté le nombre de candidatures. Mais dans d’autres universités franciliennes, ciblées par un public socialement moins favorisé, les candidatures se sont effondrées, ce que les auteures interprètent comme une autocensure massive des lycéens de milieu modeste, et particulièrement des filles. Des enquêtes montrent pourtant que les projets d’étude des lycéennes de milieu modeste étaient déjà, bien avant Parcoursup, des projets mûrement réfléchis et soutenus par les familles (et ce d’autant plus que certaines familles ne peuvent pas se payer le luxe de laisser leurs enfants papillonner de première année en première année). Ce sont pourtant ces filles qui sont les premières victimes de l’autocensure, ces filles sérieuses et réfléchies qui réussissent quand elles accèdent à l’université. Le dispositif est cruel, car il pourrait être utilisé à bon escient, pour que les universités disposent d’une mesure de leurs attendus et puissent sélectionner et accompagner les nouveaux arrivants de façon personnalisée, bien mieux que le le permet l’actuel dispositif « oui si ».

Oui, si ...

Un article donne la parole à des étudiants accueillis à l’université dans des formations qui leur avaient donné la réponse « Oui si » (« Vous êtes acceptés, mais on considère que vous ne maîtrisez pas tous les prérequis nécessaires »). Je me suis beaucoup demandé l’an dernier comment elles allaient organiser cet accueil, vu le peu de temps imparti, l’absence de moyens humains et de consignes claires. Visiblement, certaines ont choisi de regrouper les « Oui si » dans des groupes de TD spécifiques qui avancent plus lentement, en plus, ou à la place des enseignements habituels. Avec les moyens du bord, c'est probablement la seul

Du côté des étudiants, le ressenti est contrasté : certains sont contents de cet accompagnement plus personnalisé, d’autres s’ennuient car leur maîtrise des antécédents est meilleure que ce que l’université avait estimé, certains ont carrément fui dès l’annonce de cette mise à l’écart. Ce qui est complètement logique, si les universités se sont basées sur les bulletins de première plutôt que sur des tests récents pour orienter les étudiants.

Difficile d’accéder à des statistiques globales sur les taux de réussite associés à ces dispositifs. L’une des étudiantes interrogées avance le chiffre décevant de 3 passages en deuxième année sur un groupe de 15 étudiants. Quelqu’un s’en désolera-t-il ? Pas sûr, puisque ces étudiants en difficulté étaient invisibilisés, isolés de la cohorte des gagnants, ces fameux premiers de cordée censés tirer les autres vers le haut. On dira que le taux de réussite a augmenté. Ceux qui réussissent ne sont pas plus nombreux, mais on aura réussi à écarter les autres, à les marginaliser, les museler. C’est triste, car l’objectif de lutter contre l’échec en première année est noble, s’il est vraiment compris comme un accompagnement de tous vers la réussite plutôt que comme une extermination des brebis galeuses.

 

 

Parcoursup, un an après

L’avenir sous algorithme

Dans un entretien consacré à son livre L’amour sous algorithme, consacré à l’application de rencontres Tinder, Judith Duportail explique avoir découvert que Tinder apparie de façon privilégiée les hommes avec des femmes plus jeunes, moins diplômées et/ou moins bien rémunérées. Elle s’en indigne : statistiquement, cela reproduit les statistiques de l’INSEE sur les déséquilibres au sein des couples. Accepterait-on, demande-t-elle, que le réseau social professionnel LinkedIn propose systématiquement aux femmes de moins bons postes, au prétexte que cette dissymétrie existait avant l’application ? Elle choisit cet exemple pour choquer, mais il est tout à fait possible que LinkedIn ait ce genre de biais.

Le ministère clame fièrement que l’algorithme de Parcoursup est public et transparent. Certes, mais on comprend bien à la lecture du livre de Duportail que le diable est caché dans les détails : pour associer au profil d’une personne (ou à un établissement) celui d’un partenaire (ou d’un candidats), il faut classer entre eux tous les utilisateurs qui se sont déclarés intéressés, à partir des données qu’ils ont fournies. Pour Tinder, une masse énorme de données. Pour Parcoursup, un peu moins (et donc, il y a plein d’ex aequo, à classer selon d'autres critères).

Ce qui est hypocrite, c’est que Parcoursup ne s’occupe pas de classer les candidatures et d’établir le score de désirabilité (expression volée à Tinder) de chaque candidat : il fournit aux établissements des listes de candidats et laisse à chaque formation le soin de compiler un jeu de données inhumain et d’établir son classement. En toute opacité. On a demandé aux formations de fournir des « attendus », c’est-à-dire des listes de compétences (« lire un graphique », « maîtrise de la trigonométrie », …). Sauf qu’il est extrêmement difficile de corréler ces attendus aux données fournies par Parcoursup ! Alors, chacun bricole la formule de son score de désirabilité à partir des informations disponibles … en se privant d’une donnée précieuse : la motivation spécifique du candidat pour cette formation, qu’on pouvait déduire de l’ordre des vœux à l’époque où ceux-ci étaient classés. Sous couvert de laisser le choix aux candidats jusqu’au dernier moment, on les brime en fait dans l’expression de leur motivation, qui devient extrêmement difficile à déceler dans le flot d’informations des dossiers, et on donne finalement plus de latitude aux formations, qui, elles, ont le droit de classer.

Alors on fait quoi ?

On assume ! L'enseignement supérieur français sélectionne les étudiants. Arrêtons de faire semblant, et organisons cela au mieux :

  • en ouvrant autant de places que nécessaire, parce que les bacheliers doivent avoir accès à l'enseignement supérieur. Tous, sinon ils ne méritent pas leur bac.
  • en construisant des outils d'évaluation adaptés aux formations, aux candidats et aux attendus.
  • en arrêtant de classer formations comme candidats sur un même axe. Cela n'a aucun sens de comparer une formation de médecine avec une école d'ingénieurs, ni un BTS comptabilité avec une fac d'histoire de l'art.
  • en revenant à l'utilisation d'un marqueur très simple de la motivation des candidats : l'ordre de leur vœux.
  • je ne crois pas qu’il faille publier les critères de classement de toutes les formations (cela empêcherait toute intervention humaine dans le processus, or il y en a, et je pense plus souvent pour le meilleur que pour le pire).
  • en évaluant les dispositifs de lutte contre l'échec en première année sur le nombre d'étudiants accompagnés vers le succès, plutôt que par des taux de succès qui encouragent à se débarrasser des étudiants fragiles.
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