Rrrrugy pour le climat !

Mon copain Rémy vient de raconter dans ce billet qu'il a vécu ce samedi sa première émeute en tentant d'aller manifester à Paris aux côtés des gilets jaunes. Manifester en 2018, comme il dit, ça pique. Comment en est-on arrivés là ? Cela m'a donné envie de revenir sur mes souvenirs de manifestations.

Le 1er mai 2002, j'avais 19 ans. Je venais de voter pour la première fois de ma vie à l'élection présidentielle et je m'apprêtais à aller glisser dans l'urne, pas vraiment de gaité de cœur, un bulletin au nom de Jacques Chirac. Entre les deux tours, je suis donc allée comme beaucoup de Français manifester avec les syndicats contre l'extrême droite. Dans les rues de Thionville, j'ai senti un grand élan de fraternité, j'étais certaine que cette histoire de Front National n'était qu'un malentendu qui se dissiperait vite.

Au printemps suivant, j'étais en stage à l'époque où le gouvernement Raffarin préparait sa réforme des retraites. Quoiqu'en désaccord avec le projet du gouvernement, j'avais été choquée par les discours et méthodes des syndicats sur le site où je travaillais : votes à main levée, manœuvres d'intimidation, malhonnêteté intellectuelle des argumentaires. Cela m'a fâchée avec les syndicats, et, pendant 15 ans, avec la manifestation du 1er mai. Cette année-là, j'ai défilé contre la guerre en Irak. Puis plus rien pendant fort longtemps.

Jusqu'à Nicolas Sarkozy. En 2009, son projet de réforme de l'enseignement supérieur et la recherche a tellement révolté chercheurs et enseignants-chercheurs qu'ils en ont quitté la chaleur et la lumière de leurs bureaux au confort légendaire pour aller battre le pavé. Je ne mesurais pas encore à l'époque ce que ces réformes impliquent en termes de difficultés de recrutement ou de financement ni la lourdeur administrative et l'opacité de fonctionnement qui caractérisent aujourd'hui les regroupements d'universités (les PRES, devenus depuis des COMUE). J'ai marché quand même, et je ne le regrette pas aujourd'hui. Car certaines dispositions de la loi LRU ont tout de même pu être écartées, notamment celle qui consistait à punir les enseignants-chercheurs dont la production scientifique était la plus faible en augmentant de force leur service d'enseignement (quel beau message envoyé à la jeunesse de notre pays !).

La mobilisation de 2009 est la seule à laquelle j'ai participé en tant que membre d'une communauté (ici de collègues). Malgré tout, je deviens une habituée des cortèges. Car après Sarkozy, il y a eu Manuel Valls et avec lui la déchéance de nationalité, la guerre contre le terrorisme, la chasse aux migrants, l'état d'urgence perpétuel ... et son ministre de l'économie qui, devenu président, invente un "nouveau monde" qui semble furieusement dans la continuité du précédent. Dans ce monde, la police interdit aux riverains de fréquenter leur propre rue. S'ils n'obtempèrent pas, elle gaze. J'ai ainsi été gazée un soir alors que j'étais seule, immobile, silencieuse et à une distance respectueuse des forces de l'ordre que je me contentais d'observer de loin.

Cette année, au vu du mépris avec lequel l'exécutif traite les travailleurs, j'ai voulu renouer avec la manifestation du premier mai. Heureusement que j'avais fait mes gammes dans les mois précédents : le cortège citoyen pacifique et sans étiquette au sein duquel je défilais a été nassé et gazé sans ménagement. S'ils ont surpris le collègue et ami qui m'accompagnait, mon foulard et mon sérum physiologique m'ont été fort utiles ce jour-là.

En 2018, les manifestations sont-elles toutes et irrémédiablement violentes ? Non, les deux marches sur le climat auxquelles j'ai participé à Paris en témoignent. En septembre, avec ma nièce de 4 ans déguisée en papillon multicolore, nous étions clairement dans le ton de l'événement. Hier, même si la météo était moins riante, il y avait de la musique, des marionnettes géantes et des slogans plutôt gentils. Aucune dégradation à signaler au cours de mon parcours (je soupçonne même la tête de cortège d'avoir nettoyé la chaussée car je n'ai jamais vu de caniveaux aussi propres dans cette ville). Nous étions 25 000. Mais cela n'a pas trop intéressé BFM TV.

Pourquoi ne parle-t-on que de ceux qui cassent ? Est-ce par flemme, parce que c'est plus facile de compter les abribus cassés et les interpellations que d'interroger des manifestants pacifiques sur leurs motivations ? Est-ce par proximité avec le pouvoir et par volonté délibérée de décrédibiliser certains mouvements et d'en invisibiliser d'autres ? Il y aurait tant à dire sur les gens qui se mobilisent, or ce qu'on lit, ce qu'on entend à la télévision est si loin de la réalité, si mesquin, si bête ... La seule façon de comprendre, c'est de faire comme Rémy. Aller sur place, dialoguer. C'est à cela que devrait servir l'espace public. Par le temps qui courent, il me semble que c'est important de le rappeler.