Show me a hero : mais qui est le héros ?

Publié le 17 Décembre 2017

Nick Wasicsko, joué par Oscar Isaac, dans la série Show me a hero (image HBO)
Nick Wasicsko, joué par Oscar Isaac, dans la série Show me a hero

"Show me a hero, and I will write you a tragedy"

Cette phrase de F. Scott Fitzgerald a été choisie par Lisa Belkin pour raconter dans un livre, adapté à la télévision sous la forme d'une mini-série en 6 épisodes par le génial David Simon, la crise politique traversée par la petite ville de Yonkers à la fin des années 1980. Jugeant que la ville avait mis en place des pratiques discriminatoires envers la population noire en matière d'accès au logement et à l'éducation, la justice américaine avait contraint Yonkers à s'engager dans une politique de déségrégation en construisant des logements sociaux mieux répartis sur la commune. Nick Wasicsko, tout jeune maire de la ville (28 ans), initialement opposé à l'opération, décide cependant de se battre pour mettre en œuvre le programme car il comprend que les amendes infligées pour le non-respect de la loi vont couler les finances de la ville.

Même si le scénario s'inspire d'une histoire vraie que tout un chacun peut trouver sur Wikipédia, à condition de parler anglais, je n'en dirai pas plus sur l'intrigue. Juste qu'en regardant la série je me suis posé deux questions : où est l'héroïsme ?  Et d'où vient la haine ?

Où est l'héroïsme ?

Au départ, ce n'est pas par conviction que Nick Wasicsko décide de faire construire ces logements sociaux. Il ne fait qu'appliquer la décision d'un juge, Leonard Sand. Lui n'est pas élu et ne se soucie pas du mécontentement des habitants blancs des quartiers résidentiels. Est-ce pour cette raison que lui seul peut prendre une décision contraignante pour ces électeurs que les élus ne veulent pas froisser ? En d'autres termes, un élu est-il en mesure de prendre une décision courageuse, même si elle est impopulaire ? J'y ai cru il y a deux ans, quand Angela Merkel, à contre-courant de tous les autres dirigeants européens, a tenté d'impulser une politique d'accueil des réfugiés venant de Méditerranée. Et puis non. Les réactions à sa proposition ont été aussi massives, aussi démagogiques, aussi lâches qu'il y a trente ans à Yonkers. Sauf qu'il nous manque, en Europe, le juge Sand. Celui qui pourrait condamner à une amende à la croissance exponentielle tout pays qui contrevient à ses devoirs d'accueil. Je connais trop mal le droit européen pour savoir si une telle personne existe en théorie, mais n'exerce pas son pouvoir de punition par peur des représailles (si oui, j'ai la réponse à ma question : c'est le juge Sand qui est héroïque), ou si l'édifice a été savamment construit pour que personne ne puisse contraindre les Etats à prendre leurs responsabilités.

D'où vient la haine ?

"Ces gens-là vivent comme des animaux", "cela va être un cauchemar", "et nous, les Blancs, quand est-ce qu'on s'occupe de nous ?" On aimerait que ces slogans nauséabonds entendus à Yonkers appartiennent définitivement au passé. Mais ils prospèrent encore dans la France d'aujourd'hui. Quand de très respectables habitants du XVI° arrondissement de Paris incendient un centre d'accueil par exemple. Pourtant, on connaît les vertus à grande échelle de la mixité. Dans le cadre du programme Housing First, des expérimentations menées aux Etats-Unis dans des villes de différentes tailles montrent aussi qu'il est préférable de loger gratuitement les sans-abris que de les maintenir à la rue. Pour les personnes concernées bien sûr, mais pour l'ensemble de la société, car de nombreux problèmes sont atténués (engorgement des urgences, insécurité dans la rue, saleté ...). Malgré cela, bien sûr, lorsqu'il s'agit de construire une résidence pour accueillir ce public précaire, la réaction est souvent la même "Not in my backyard!". Pas chez moi ! Pourquoi tant de résistance ? Avoir un voisin pauvre n'oblige pas à devenir pauvre soi-même. Si on n'a rien à lui dire, il suffit de ne pas lui parler (cela arrive assez souvent d'ailleurs, même avec des voisins riches). L'argument qui revient souvent dans la série est que les maisons vont perdre de leur valeur à cause de ce nouveau voisinage. Quand on a une vie confortable, peut-on vraiment s'opposer à un projet de solidarité pour une raison pareille ? Qu'est-ce qui s'oppose à l'héroïsme, qu'il soit incarné par Nick Wasicsko ou Leonard Sand ? Est-ce du pur égoïsme ? J'ai l'impression que c'est surtout la peur de l'autre. Et cette peur, n'est-ce pas surtout la peur de la mauvaise conscience que l'on aurait à ressentir en voyant nos privilèges exposés au grand jour ? Est-ce pour cela qu'il est plus confortable de rester chacun chez soi, entre des voisins qui nous ressemblent, et de continuer à nous persuader que les autres, là-bas, au loin, sont des sauvages et nos ennemis ?

Rédigé par Algue

Publié dans #politique, #peace&love, #liberté, #financement, #art,, #série TV, #logement

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article