APB est mort, vive Parcours sup !

Publié le 14 Janvier 2018

Demain 15 janvier, la plateforme Parcours Sup ouvrira ses portes numériques et permettra à chaque lycéen souhaitant s'orienter vers des études supérieures de formuler ses vœux. Curieuse, j'ai été y faire un petit tour.

Accompagner chacun vers la réussite

Au moins, le message d'accueil est généreux. N'étant pas lycéenne, je ne peux pas accéder à l'interface réservée aux élèves, pour laquelle il faut renseigner un numéro INE. Seuls certains onglets me sont accessibles. Cliquer sur "J'approfondis certaines filières pour éclairer mes choix" puis "Sciences, technologie et santé" me mène sur une page contenant une liste de mentions de licence. Le seul paragraphe rédigé est intitulé "Les sciences sans le bac S" et m'informe que "Rejoindre une licence de physique ou de mécanique sans avoir le bac S : un parcours pas toujours simple, mais possible". Pour plus d'informations, allez donc voir l'ONISEP. Bref, rien de nouveau sous le soleil.

Je me rabats sur la page réservée aux enseignants et acteurs de l'orientation. Il y aura un module d'autoformation pour les enseignants, mais il n'est pas encore ouvert. Sinon, il y a plein de fiches pour expliquer en détail les différentes étapes de la procédure Parcours Sup. J'apprends quelle est la différence entre les vœux et les sous-vœux. Surtout, je trouve ce tableau expliquant aux lycéens à quelle sauce ils vont être mangés :

C'est plutôt bien expliqué, mais comme souvent le diable se cache dans les détails, je m'interroge sur la signification des notes de bas de page.

2 La réponse "OUI SI" signifie que l'étudiant est accepté dans une formation, "à condition de se renforcer dans les compétences attendues". Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'on l'inscrit dans l'université souhaitée, mais en "année zéro" plutôt qu'en première année de licence ? Qu'il doit se former pendant les vacances en suivant un MOOC ?

3 Il est indiqué que le cas "l'élève ne reçoit que des réponses négatives" n'est susceptible de se produire que si l'élève a formulé tous ses vœux dans des formations sélectives (donc pas à l'université). En particulier, il est bien précisé que si le concours de fin de première année en PACES (première année commune aux études de santé) est extrêmement sélectif, l'inscription en PACES ne l'est pas. Si je comprends bien, cela signifie que l'université n'aura le droit de refuser aucun dossier. Elle se contentera de classer les dossiers les moins bons sur liste d'attente, y compris ceux pour qui elle sait qu'il n'y aura aucune chance d'accéder à la formation. Deuxième zone d'ombre : qui est la commission d'accès à l'enseignement supérieur, chargée de faire des propositions aux lycéens ayant reçu uniquement des réponses négatives ? Le 13 décembre dernier, les collègues d'Aix-Marseille ayant enquêté sur la question n'en savaient pas plus que moi.

Une réforme de l'admission post-bac, pourquoi, pour qui ?

Parcours Sup a un peu la pression. L'an dernier, son prédécesseur APB avait éconduit 6% des bacheliers, à qui il n'avait pu proposer aucun de leurs vœux. Multiplié par 850 000 candidats (OK, un peu moins sans doute, car certains candidats n'ont probablement pas eu le bac), cela fait beaucoup. Pourtant, ce qui a choqué, ce n'est pas tellement ce chiffre. Le scandale APB, pour la plupart des média, se limite au tirage au sort auquel ont eu recours les universités pour départager les candidats aux filières en tension (droit, STAPS, psychologie et PACES), une méthode perçue comme injuste. Je suis d'accord pour dire que c'est un peu dommage de jouer son avenir à un tirage au sort, mais l'alternative proposée est-elle plus juste ?

Un accès plus juste à la PACES ?

Il est d'autant plus difficile de répondre que la nouvelle procédure transparente n'est pas encore connue pour toutes les formations, notamment pour l'un des secteurs où la tension est la plus forte, c'est-à-dire pour PACES en Île-de-France, au sujet de laquelle le site indique pudiquement que des instructions seront communiquées ultérieurement. Pourquoi tant de mystère, si les universités ont maintenant le droit de consulter et classer les dossiers ? Ce sont très probablement les priorités accordées aux étudiants de l'académie qui se jouent. Sur les sept universités franciliennes qui proposent une première année de PACES, trois sont situées dans Paris intra-muros. Or, en 2016, il y avait 165 000 élèves dans le secondaire dans l'académie de Paris, pour 386 000 dans celle de Créteil et 501 000 dans celle de Versailles (oui, en fouillant un peu mieux, j'aurais sûrement pu trouver le nombre de bacheliers dans chaque académie, mais les proportions ne doivent pas changer tant que ça. Et mes chiffres viennent de ). Dans chaque académie, les lycéens locaux ont une forme de priorité sur ceux qui proviennent d'autres académies. Dans le cas de l'Île de France, la question de l'accès aux universités parisiennes pour les étudiants de banlieue, pénalisés par cette distribution, est sensible.

Un accès plus juste aux autres filières universitaires en tension ?

Pour les autres filières en tension (psycho, STAPS, droit, PACES en province), la question territoriale semble avoir été tranchée. On verra demain si les informations explicites sur les quotas réservés à l'académie locale sont données sur le site. Les dossiers seront donc triés, avec les moins bons placés sur liste d'attente. La bonne nouvelle, c'est que les étudiants placés sur liste d'attente peuvent accepter d'autres propositions sans renoncer à leur vœu principal ... mais pour cela, encore faut-il avoir d'autres propositions.

Qui bénéficiera de l'intervention de la commission d'accès à l'enseignement supérieur ?

Reprenons nos 850 000 inscrits sur APB l'an dernier et imaginons que 85% d'entre eux ont eu le bac. Le nombre de lycéens à qui APB n'avait fait aucune proposition s'élève à plus de 40 000 ! En 2018, le nombre d'étudiants comme le nombre de places offertes aura assez peu varié (le gouvernement s'est engagé à créer des places, mais n'ayant pas vu de vaste campagne de recrutement d'enseignants ou de construction d'amphithéâtres, je doute que ces places supplémentaires soient disponibles en septembre), on peut s'attendre à ce que le traitement automatisé des dossiers donne le même genre de résultats. Donc soit une commission (enfin 17, car si j'ai bien compris il y a une commission par académie) gère à la main 40 000 dossiers, soit il y a une feinte et le nombre d'interventions sera en fait beaucoup plus faible. En effet, si on relit attentivement le schéma, la commission intervient pour les élèves qui n'ont reçu que des réponses négatives, c'est-à-dire qu'ils n'ont candidaté qu'à des formations sélectives. Mais rien n'est garanti pour ceux qui végètent sur liste d'attente à l'université, puisqu'on ne leur a pas vraiment dit non ...

J'espère avoir mal compris ce dernier point, car ce serait vraiment malhonnête de priver du secours de la commission les lycéens intéressés par des formations universitaires. Ce dont je suis sûre en revanche, c'est qu'on priera l'université d'accueillir, dans des cursus où il y a moins de demandes, les étudiants déboutés par ailleurs, quelles que soient leurs compétences et leur motivation. Ensuite, on comparera le taux d'obtention d'un diplôme de niveau master à bac+5 entre l'université et les grandes écoles, et on dira que l'université est nulle. Je n'invente pas, c'est même l'argument n°1 présenté par le ministère dans une présentation où il motive la réforme d'APB.

Quelle articulation entre le baccalauréat et l'enseignement supérieur ?

La question de fond à laquelle Parcours Sup ne répond pas franchement, et c'est dommage, est la suivante : que deviennent les lycéens qui obtiennent le baccalauréat mais ne maîtrisent pas les attendus (les prérequis que doivent posséder les élèves pour espérer suivre dans le supérieur) ? Quel sens cela a-t-il de délivrer un diplôme censé représenter la porte d'entrée dans l'enseignement supérieur à des centaines de milliers de lycéens pour qui l'on n'a pas prévu de formation supérieure ? A qui incombe la tâche de pallier les lacunes dans les attendus : au lycée, à l'université, à tous les établissements d'enseignement supérieur, aux étudiants eux-mêmes ? Ou à personne, ce qui revient à fermer définitivement la porte de l'université à tous ceux qui à 18 ans n'avaient pas le CV adéquat pour y entrer ?

A quand une réforme ambitieuse de l'enseignement supérieur ?

Parcours Sup au lieu d'APB, c'est, comme annoncé par le gouvernement, "la fin du tirage au sort". C'est sans doute vrai, peut-être même que c'est plutôt une bonne chose. Mais bon, cela revient à se réjouir d'avoir soigné un ongle incarné chez un cancéreux en phase terminale. A quand une réflexion ...

... sur l'objectif de la formation supérieure : l'université doit-elle uniquement former des professionnels ? Si son rôle se limite à fournir aux entreprises des employés calibrés selon leurs demandes, en quoi cela relève-t-il du service public ? Faut-il la remplacer par des entreprises qui façonnent ingénieurs, webmarketeurs, catalyseurs d'innovation et managers au gré de la tendance ? Il me semble que l'université peut et doit penser le monde, qu'elle doit pour cela se diffuser au-delà de ses propres murs. Enseigner au collège après un doctorat, occuper un emploi de non-cadre après une école d'ingénieurs ou un master de philosophie, lorsque c'est un choix, ne devrait pas être vu comme un accident, ou pire, du gaspillage, mais comme une ressource précieuse, pour celui ou celle qui a un parcours atypique, et pour son entourage.

... sur la formation des médecins : à quand la fin du massacre de la PACES ? A quand une formation plus humaine, plus enrichissante intellectuellement, et qui fournirait au pays tous les médecins dont elle a besoin ?

... sur la formation tout au long de la vie : quand arrêtera-t-on de considérer que la vie entière se joue à 18 ans ? Quand apprendra-t-on à reconnaître et valoriser les compétences développées au cours de la vie professionnelle ? Quand développera-t-on des formations professionnelles en se mettant au service des travailleurs ou des demandeurs d'emploi ?

En attendant, on rassure les meilleurs élèves de terminale et leurs parents. Avec Parcours Sup, on recycle les bonnes vieilles méthodes de la reproduction des élites. On supprime le tirage au sort, ce petit grain de sable qui pouvait risquer, de temps en temps, ô idée absurde, de favoriser un élève issu de milieu défavorisé. Les laissés pour compte sont bien ciblés, a priori ils n'auront pas accès à une tribune dans Le Monde pour se plaindre. On peut donc sans crainte continuer comme s'ils n'existaient pas.

Dans la start-up nation, on accompagne chacun vers la réussite, pour peu qu'il ait déjà réussi. Comme ça, on réduit notre taux d'échec, c'est magique !

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